L'arche de Noé

Mon petit pied préféré, garant d'une bonne humeur matinale, s'est levé ce matin sur une note humide. Mon orteil sort du lit pour découvrir que quelques centimètres d'eau ont déjà envahi la chambre. Je bondis hors des draps prestement, tel un super-héros à la coiffure post-réveil de Mister Bean et manque de me rompre le cou en glissant sur le marbre blanc de la pièce, rendu hasardeux par les flots qui l'emplissent déjà.
Equilibre retrouvé, je sors rapidement de la chambre et monte l'escalier qui m'emmène vers le séjour. Face à moi, de véritables chutes du Niagara dévalent les marches et atteignent mes mollets. J'applique la fameuse stratégie du Saumon de Norvège et bondit de marche en marche pour atteindre le palier.
Des torrents aquatiques courent le long des murs, la pluie frappe les vitres avec violence et s'infiltre par tous les interstices pour alimenter ce flot qui atteint désormais mes genoux. La situation semble désespérée et mon seul neurone matinal déjà actif m'insurge de sauver ce qui peut l'être.
Au hasard de mes errances autour du salon, je saisi ces objets qui me semblent indispensables. Si la Terre est envahie par la montée des eaux, au moins il me restera l'essentiel. Par des gestes rapides, mes mains sélectionnent ces choses si précieuses qui composeront mon arche de Noé sur la table du séjour.
Au moment où je perds pieds, le niveau dépassant ma taille pourtant immense au regard de la moyenne masculine en Inde, la table est déjà en flottaison. D'un crawl à rendre Johnny Weissmuller vert de jalousie, je rejoins le radeau dinatoire et m'y installe. Autour de moi, s'entasse le bric à brac sauvé de la marée: une guitare orpheline de cordes, une bouteille de Sauternes sans son tire-bouchon, un CD best-of des meilleurs Disney, un dessin tendre de mes filles chéries, une bougie de Diwali trempée et le très utile ouvrage de circonstances "la natation pour les nuls"... Si j'avais été vraiment Noé, on se demande à quoi ressemblerait la Terre aujourd'hui !
Soudain, sous la pression de la masse liquide, la baie vitrée rompt dans une explosion digne des meilleurs scenarii hollywoodiens. L'eau s'échappe par l'ouverture et crée un courant gigantesque qui entraine mon radeau de la Méduse vers la terrasse et surtout vers les douze étages qui nous séparent du plancher des vaches. N'ayant aucune envie de tester le domaine de vol en plané de ma table de salon, je commence à ramer avec la guitare pour contrer le courant. Inutile de faire une analyse scientifique poussée. Une guitare, même espagnole, est aussi utile pour faire avancer un bateau qu'un tournevis dans les mains d'une femme.
Le flot est désormais si fort que je n'arrive pas à lutter. L'embarcation est emportée inexorablement vers le vide. La lutte est perdue. Déjà je distingue l'abime dans lequel je m'envole.

"Aaah !" Le vrai réveil est brutal. Je suis dans mon lit, complétement trempé. D'un regard vif je cherche des yeux la probable fuite responsable de ce rêve marin... et découvre ma bouteille d'eau renversée sur le bord du lit. Durant la nuit, j'ai du heurter le flacon mal refermé et il s'est vidé intégralement sur les draps, m'arrosant copieusement au passage. Même pas drôle !

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[Rahat]

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